janvier 2030
J'avais besoin de prendre l'air. Ça faisait 3 appels de mon agent qui venait de passer et si on me demandait une fois de plus où j'en étais dans l'avancée de mon prochain livre, je risquais de faire un malheur. Le précédent venait à peine d'être livré dans les librairies. Un livre, ça ne se faisait en 3 jours. Alors mon manoir avait Mais j'avais besoin de pâtisseries et j'avais besoin de thé. J'allais donc aller au salon de thé japonais situé à Golden Gate Park. C'était un endroit où j'aimais aller. Outre le fait qu'il était à l'entrée du parc et que c'était un lieu tranquille avec une vue magnifique, c'était le seul endroit de la ville avec une large gamme de thés différents. Et pour l'anglaise en moi, le thé, c'était sacré. Alors mon quartier était à proximité de l'une des entrées du Golden Gate Park, mais le salon de thé était situé à celle à Haight-Ashburry, soit de l'autre côté du parc. Que cela ne tienne, marcher dans le parc me ferait le plus grand bien. J'étais une louve, j'avais naturellement besoin de me dépenser. Et puis vu l'heure, je ne croiserais pas forcément grand monde. Et s'il arrivait que certains me reconnaissent, l'utilisation du pseudonyme N.D Winter comme nom de plume, m'offrait la liberté de vivre au quotidien dans un certain anonymat. Liberté dont j'allais d'ailleurs profiter aujourd'hui. J'entrais donc dans le salon de thé. Il y avait encore peu de monde, mais c'était normal puisque nous étions en milieu de matinée et en semaine. C'était justement pour cette raison que j'avais choisi cet horaire. Pour savourer du thé le plus sereinement possible. Je fis ainsi un tour du lieu du regard, pour voir si une table était libre à proximité des fenêtres donnant sur l'intérieur du parc. C'était souvent les tables les plus prisées, à raison. La vue y était la plus agréable et si c'était l'une des tables du fond, alors là ça devait le bingo gagnant pou un moment en toute tranquillité. Alors que je faisais un tour visuel, je vis dans l'une des tables du fond justement, une tête qui me semblait familière. Sortie de mon passé serait plus juste. Je me demandais un moment si je devais aller le voir ou si malgré le temps passé, il ne souhaitait pas plutôt que je le laisse tranquille... Mais en le voyant lever sa tête de ce qu'il faisait et qu'à un moment ou un autre, il finirait par voir ma présence dans le salon de thé relativement vide, je décidais de m'avancer vers sa table et d'aller le saluer.

- Je me disais bien que c'était une tête que je connaissais. Bonjour Zacharya.

Ça faisait longtemps. La dernière fois que nous nous étions vus, j'allais sur mes 24 ans et j'étais encore Nimue Jones, une louve qui venait à peine d'arriver à se maîtriser. Et ce grâce aux Praetor Lupus dont il faisait partie. Mais quand l'alpha de l'époque m'avait proposé de les rejoindre, je m'étais sentie obligée de refuser, car à l'époque, j'étais à la recherche de mon père et je voulais rester sans appartenance à une meute au cas où mon père m'aurait proposé de rejoindre sa meute. Je n'avais pas voulu rejoindre les Praetor pour ne pas prendre le risque d'avoir à les quitter plus tard. Peut-être que j'aurais dû accepter à l'époque. Peut-être que je n'aurais pas été seule au moment où j'avais retrouvé mon père, déjà mort. Mais c'était il y a longtemps. 7 ans avait passé depuis la dernière fois où j'avais vu Zacharya. Ma vie avait évolué autant que la sienne. Mon père m'ayant reconnue post portem, j'avais depuis hérité de sa fortune et de son nom de famille. J'étais désormais Nimue Lundberg et je savais d'où je venais, même si finalement, ça ne m'avait apporté que plus de solitude et de regrets. Mais bizarrement, même si nous avions lui comme moi évolué, à le voir assis sur cette chaise, j'avais l'impression d'avoir comme un déjà vu remontant à quand nous étions encore jeunes. Alors oui, nous étions encore jeunes en âge. Mais disons que là, ça me faisait vraiment remonter à quand je sortais à peine de l'enfance. C'était étrange, mais pas négativement parlant.

C'était étrange de l'entendre m'appeler "Jones". Ça avait un petit côté nostalgique. Mais il était vrai qu'il ne m'avait connue que sous ce nom.

- C'est Nimue Lundberg, désormais. Comme mon père.

Je ne m'attardais pas sur le sujet de mon père. Lorsque je l'avais retrouvé, il était déjà mort. Mais j'avais découvert que pendant que je le cherchais, lui faisait de même et avait entamé les démarches pour me reconnaître légalement. Voilà comment je me retrouvais désormais sans père, sans meute, mais avec le nom de famille Lundberg et l'empire financier qui allait avec. Comme si ça pouvait me consoler... Mais je savais au moins qui j'étais et d'où je venais. Je n'avais plus questions sans réponses le concernant. J'acceptais l'offre de Zacharya, d'un sourire et prenait place sur la chaise à côté de lui qu'il venait de me proposer.

- Je te remercie, mais ma commande est en train d'arriver justement.

La serveuse venait de m'apporter le thé russian earl grey et les scones aux myrtilles que j'avais commandés et payés à mon arrivée. Je la remerciais et attendit qu'elle reparte avant de reprendre la conversation.

- À dire vrai, c'est plus un heureux hasard. Je suis une habituée du lieu, j'ignorais que c'était également ton cas.

Si je n'étais pas surprise qu'il soit ici à San Francisco, le découvrir ici dans ce salon de thé où j'avais l'habitude de venir régulièrement me surprenait davantage. Mais il était vrai que si j'aimais l'endroit, c'était à la fois pour leur thé et pour la tranquillité que le lieu offrait. Et Zacharya étant, lui aussi, un loup, cela semblait logique qu'il ait pu faire ce même choix.

- Et non, je n'appartiens à aucune meute, mais je n'ai pas non plus besoin d'aide pour en trouver une. Même si je te remercie de ta proposition de m'aider.

Je reconnaissais bien là le loup que j'avais connu. Il continuait de vouloir aider. Mais pour ma part, j'avais changée et je n'avais plus forcément besoin d'être aidée. J'avais dompté ma nature et mes capacités, j'étais même devenue une louve experte pour la traque. Je n'étais plus cette jeune femme tout juste sortie de l'adolescence qui ne maîtrisait pas ce qu'elle était et qui craignait de blesser les autres. D'ailleurs, j'avais cru entendre que lui aussi avait évolué depuis la dernière fois que nous nous étions vus.

- J'ai entendu dire que tu étais le nouvel alpha des Praetor. Félicitations à toi.

J'étais sincèrement heureuse pour lui qu'il soit enfin devenu ce qui avait toujours été ce qu'il était destiné à être. À l'époque où j'avais quitté les Praetor Lupus et refusé de les rejoindre, il n'était encore qu'un membre et il y avait à l'époque un autre alpha à la tête. Mais déjà à l'époque, il semblait évident et logique que Zacharya serait le suivant. Et c'était étrange de parler meute avec lui. Il était maintenant un alpha et moi une louve solitaire. Chacun avions fait avec les conséquences de nos choix respectifs. Lui avait déjà rejoint les rangs des Praetor avant que je le rencontre. Moi j'avais refusé l'opportunité, car à l'époque, je cherchais mon père lui-même loup. Et je savais alors que j'avais accepté l'offre d'appartenir à la meute des Praetor et que j'avais ensuite eu mon père qui m'aurait demandé de le rejoindre, j'aurais dû faire un choix, j'aurais eu l'impression d'en trahir un au détriment d'un autre. Alors j'avais refusé une opportunité plutôt que de risquer de trahir. Et même si j'avais retrouvé mon père trop tard, que je n'aurai pas eu à trahir si j'avais accepté l'offre des Praetor, j'ai fait à l'époque avec les informations que j'avais. Et voilà ce qui faisait que désormais Zacharya et moi avions évolués chacun de notre côté. C'était ça sans doute, ce qu'on définissait comme les affres de la vie.

Visiblement la quiétude du lieu semblait parler aussi à Zacharya. À croire que cet endroit avait été fait pour les loups. Qui sait... Pour ma part, c'était plus pour le côté nature et éloigné de la foule que pour m'y trouver seule. Mais Zacharya était un alpha, il était vrai que vivre en meute était bien différent que d'être un loup solitaire. Je comprenais donc ce qu'il voulait dire par "y être au calme".

- La solitude, c'est juste une question d'habitude.

Je ne savais pas si je fonctionnais mieux ainsi ou si au contraire, ça me desservait. Mais c'était un sentiment avec lequel j'avais pris l'habitude de vivre. Alors je me contentai juste d'agir avec. Parce que je savais faire. Et avec le temps, j'avais appris à me faire des amis et des alliés chez d'autres créatures magiques ou même chez les shadowhunters. C'était peut-être parce que j'avais compensé l'absence de meute que pour moi, ça me paraissait plus facile que pour d'autres. L'alpha me déclara que le quartier général des Praetor était grand ouvert et que j'y serais toujours la bienvenue. Je ne savais pas vraiment quoi dire à ça. Je ne savais pas si je méritais vraiment la gentillesse de mon ami. Sans compter que si j'avais changé, les Praetor que j'avais pu connaître plus jeunes avaient dû, eux aussi, évoluer. Et je restais celle qui avait refusé de les rejoindre pour retrouver un mort. Je n'étais pas certaine qu'ils seraient ravis de me revoir. Mais je remerciais l'alpha.

- Merci.

Quand Zachary mentionna que j'avais fini par retrouver celui que je cherchais, je baissais silencieusement les yeux et fixait mon thé. Instinctivement, j'y plongeais la cuillère et la fis tourner comme pour y mêler un sucre invisible. Le geste me calma et réalisant que la situation pouvait être malaisante, je retirais la cuillère, levait les yeux vers Zacharya en faisant apparaître un sourire de façade qui voulait traduire que tout était ok. Comme si ça allait marcher face à un psychologue... Je me fis donc violence et révélait la vérité.

- Je ne l'ai pas vraiment retrouvé. Enfin si. Mais trop tard. Il était déjà mort. Je n'ai hérité de son nom, de son empire financier et de sa fortune que parce qu'il me cherchait et que j'étais son unique enfant, sa seule famille. Il avait tout prévu avec ses avocats, sauf sans doute de mourir si tôt. J'ai été légitimé post-mortem.

J'avais surtout rencontré ses avocats, dû prouver qui j'étais alors que je me moquais de tout cet héritage que je n'étais pas venue quémander. Ça avait été étrange et fastidieux. Tout ça pour ça.

- Tu te souviens de ce fameux crash d'avion dont on avait parlé il y a quelques années, parce que dedans il y avait plusieurs des plus grandes fortunes d'Europe ?

Je hochais légèrement la tête de manière à lui faire comprendre silencieusement que mon père faisait partie des concernés. Pas de démons ou de magie. Rien à voir avec le fait qu'il avait été un loup. Juste une mort "ordinairement" humaine. Cela avait été plus simple pour ses avocats de gérer l'après. Ça n'avait pas été plus simple pour moi de comprendre que je ne l'avais jamais connu et que je ne connaitrais jamais autrement qu'à travers ce qu'il m'avait légué. Mais je ne lui ferai jamais face. Je n'entendrais jamais sa voix qu'à travers des vidéos de lui. C'était surtout de tout ça que j'avais dû faire le deuil. Plus que de lui que je n'avais jamais vu.

- Alpha et psychologue ? Tu es définitivement fait pour être un Praetor. Mais ça, il n'y a jamais eu de doutes te concernant. Dans mon souvenir, c'était déjà une évidence à l'époque.

Bien sûr, revenir sur le fait que Zacharya avait enfin trouvé sa place était un peu pour revenir sur un sujet bien plus agréable. D'autant plus que le compliment était vrai et mérité. Lorsque les Praetor m'avaient aidé à me contrôler, nous étions bien plus jeunes, cependant Zacharya était déjà clairement à sa place.

- Je vis ici. Sur Vista Del Mar qui donne sur la plage. C'est plus pratique pour courir en toute discrétion la nuit.

En tant que louve, bien évidemment. Un humain n'avait pas besoin de faire attention à quand et où courir. Mais Zacharya étant comme moi, je n'avais pas d'entrer dans des explications supplémentaires.

- Je suis devenue romancière. J'utilise un pseudonyme, c'est plus facile pour ne pas être repérée.

Surtout depuis que mes livres se vendaient bien et que je m'étais faite une base de fans. Mais état une louve, je ne voulais pas forcément être dans la lumière. Et si je pouvais au quotidien vivre en toute "tranquillité" c'était parce que rare était ceux qui savaient que Nimue Lundberg et N.D Winter étaient une seule et même personne.

C'était étrange d'évoquer mon père et sa mort avec Zacharya. Ce n'était pas négatif ou positif. Juste étrange. J'avais quitté les Praetor en tant que Nimue Jones et j'étais maintenant Nimue Lundberg. Comme si celle que j'étais à l'époque et celle que j'étais désormais avaient été deux personnes distinctes. Et pourtant retrouver mon ami et parler avec lui me faisait prendre conscience que j'étais bien les deux et que le temps avait juste passé et nous avions Zach et moi évolués. Enfin malgré tout ce temps passé, malgré ces évolutions, je le reconnaissais tel que je l'avais connu. Son statut d'alpha, son métier de psychologue, c'était lui et c'était si naturellement logique comme évolution. Il était resté le même. Plus âgé, avec plus d'expérience et de maîtrise sans nul doute, mais ça restait le Zacharya de mon souvenir. Et c'était quelque chose de rassurant que de voir qu'il avait pu devenir ce qu'il était destiné à être.

- Rien n'est insurmontable. Comme je te l'ai dit, c'est juste une question d'habitude.

J'avais grandi au sein de foyers d'accueil. Les Praetor avaient été ce qui ressemblait le plus à une famille pour moi. Alors ça n'avait pas été épreuve "difficile", ça avait été une épreuve de plus, après tant d'autres dans mon passé. Une épreuve était rarement facile. D'une certaine manière, avoir grandi en orpheline m'avait permis d'affronter le fait que je découvrais que je l'étais réellement. Ça sonnait dépressif dit comme ça, pourtant je voyais ça de manière positive. Si Zacharya considérait que les habitudes étaient faites pour être changées, dans mon cas, certaines habitudes m'avait permis de rendre quelque chose de supposément insurmontable, gérable et tolérable. Au moins, j'ai eu une réponse à la question de qui était mon père. Savoir d'où je venais, c'était toujours plus que ce que j'avais avant. J'avais un nom qui me rattachait à des origines concrètes et non plus un nom fourni par défaut par l'assistance sociale. J'avais une véritable identité. Ah et oui, j'avais aussi hérité de mon père matériellement parlant, mais si je ne rejetais pas cet héritage, j'avais encore du mal à le considérer comme pleinement mien. C'était encore une partie trop surréaliste pour que ça sonne naturel dans mon esprit. C'était là, j'en avais la possession, mais je n'arrivais pas à me l'approprier émotionnellement.
Mais je n'étais pas la seule qui avait dû gérer avec un passé compliqué. Zacharya avait eu aussi son lot. À croire que les loups étaient véritablement porteurs d'une malédiction, mais pas de celle dot parlait les légendes.

- J'ai la sensation que pour les nôtres, les débuts sont toujours destinés à être compliqués. Mais nous, on a eu la chance d'avoir eu les Praetor. Ça semble logique que ce soit à notre tour de rendre la pareille aux suivants.

Enfin il semblait clair que Zacharya en tant que psychologue et alpha, devait le faire bien plus souvent et bien plus efficacement que moi. En tant que louve indépendante, mes moyens étaient moindres. Je ne manquais pas de moyens financiers et de contacts noués au sein de la communauté surnaturelle, mais les Praetor étaient bien mieux organisés pour aider le plus grand nombre. Mais les loups étaient par nature solidaires. Cela expliquait pourquoi les meutes étaient si organisées et soudées et pourquoi même les loups solitaires aidaient leur prochain. Il devait y avoir quelque chose dans notre ADN qui nous poussait à ne pas vouloir passer notre chemin devant quelqu'un dans le besoin. Encore plus si la personne était un loup. Mais c'était logique dans un sens. Les loups étaient doués pour survivre et la survie passait par l'entraide. Puis Zacharya proposa de venir parfois au quartier général pour quelques heures, pour pouvoir être pleinement louve en compagnie d'autres loups. Je fis un sourire discret, le remerciant avant de porter une gorgée de thé à ma bouche.

- Merci.

Si son offre était généreuse, je ne savais pas encore si j'en profiterais. Le temps avait passé pour nous deux. Revenir au sein d'un quartier général alors que j'avais il y a quelques années refusé l'offre de rejoindre la meute, me semblait presque déplacé. Je préférais laisser l'accès au quartier général et ne pas gaspiller le temps des Praetor, pour le laisser à des créatures dans le besoin de leur aide. Ça faisait trop longtemps pour moi désormais. Et ça me semblait inapproprié de profiter de cette offre quand je n'étais plus de ceux qui avaient besoin d'aide. J'étais maintenant de celle qui aidaient du mieux que je pouvais. Heureusement le changement de conversation m'offrit la possibilité de chasser ces pensées de mon esprit. D'ailleurs quand Zacharya évoqua que je le fournisse une copie, j'éclatais de rire. Non pas d'un rire moqueur, mais plus d'un rire franc. C'était étrange, car ça faisait longtemps que je ne riais plus de ce rire naturel. Revoir Zach devait m'aider à plus facilement être la vraie moi, alors que ça faisait un bail que je me fondais dans la masse pour ne pas être repérée. Une fois que je repris mon souffle, je lui expliquais le motif de mon rire.

- Zach, le pseudonyme que j'utilise est N.D Winter. Je doute qu'il te parle parce que 90% de ma « renommée » vient de la Bit Lit. Et j'ai du mal à te visualiser en train de lire de la romance surnaturelle avec des titres du genre "La morsure du cœur" ou "Le cœur et l'épée".

Pour ma défense, j'écrivais les romans, mon éditeur trouvait les titres. Et j'étais la première à assumer qu'ils étaient ridiculement merdiques. Sans compter qu'en général les couvertures étaient faites pour mettre en avant l'aspect romance fantastique que ma qualité d'écriture.

- Hey, je dois faire plaisir à mes lecteurs...

Lecteurs fidèles, soit dit en passant. Et si je n'étais pas forcément fière d'écrire de la Bit Lit, j'avais une affection particulière pour les fans que j'avais acquis et je continuais bien plus pour eux que parce que ça m'avait offert une reconnaissance d'auteur. Je ne courais pas après l'argent, en tant qu'héritière Lundberg, je n'étais pas dans le besoin. Je ne courais pas non plus après la renommée. Ce n'était pas pour rien que je me cachais derrière un pseudonyme. J'aimais juste écrire. Alors si je continuais à écrire de la Bit Lit, c'était parce que j'écrivais pour eux, ce qu'ils aimaient et voulaient lire. Ils m'avaient donné la reconnaissance et avec la liberté de pouvoir proposer d'autres styles de livres à côté. Alors, je leur offrais en échange ce qu'ils aimaient, c'était là ma reconnaissance envers eux.

- Mais oui, j'ai écrit aussi des livres "sérieux" comme les agents littéraires disent. Et tu auras bien évidemment des copies dédicacées. En fait, il y en a même un où tu es évoqué en dédicace. Enfin pas toi tout seul. Les Praetor. Mais il n'y avait pas de nom, juste que je le dédiais "à ceux qui m'avaient appris que même la plus seule des orphelines pouvait finir par découvrir à quoi ressemblait une famille".

Ce livre avait été une sorte de roman/essai. Un de mes premiers livres, avant même que je tente la Bit Lit. C'était un livre sur ce que je maîtrisais à la fois le mieux et le moins bien. La famille. Ou plutôt grandir en absence de sa famille biologique. Et sur l'influence que ce manque avait sur la construction identitaire, sur l'importance de se construire autrement avec d'autres repères solides, similaires à la notion de famille. Je l'avais écrit en tant que Nimue Jones, mais jamais édité jusqu'à récemment. Mais désormais, il l'était sous le pseudo de N.D Winter. Ce n'était pas un de mes romans les plus "festifs" à lire, d'où le fait qu'il n'était pas mis en avant dans ma bibliographie. Mais ce serait sans doute plus le genre de livres qui intéresserait l'alpha.

Zacharya et moi avions une vision différente du rapport à la solitude. Sans doute parce qu'il avait vécu plus longtemps dans une meute alors que j'avais grandi en foyers. Je gardais donc le silence avec un sourire poli face à sa remarque sur le fait qu'il n'y avait pas de raison pour devoir surmonter les choses, seul. Pour ma part, je savais que la solitude n'était une question de volonté, ça s'imposait malgré nous et on faisait avec.

- De l'excellent travail. Et je ne doute que maintenant que tu es l'alpha, ta meute et toi avaient du non seulement continuer sur cette voie, mais avez aidé encore plus de personnes que vous ne le faisiez avant.

Après tout, il était non seulement un alpha, mais également un psychologue. Il devait aider de bien des façons et pas que dans le monde magique.
La conversation avait ensuite dévié sur mon métier et sur les livres que j'avais écrits. Ça me faisait bizarre d'en parler avec lui, après autant d'années. Il est vrai qu'à l'époque j'écrivais déjà, mais je n'étais pas encore auteur. Juste une louve qui tentait de se réfugier dans les mots pour avoir le contrôle de quelque chose à une époque où toute ma nature était incontrôlable.

- Je te les apporterai la prochaine que nous nous verrons alors.

J'ignorerai encore quand ce serait, mais je les lui apporterai en main propre. Car il semblait maintenant évident que nous ne laisserions pas passer autant de temps avant de nous revoir. Encore plus maintenant que nous vivions dans la même ville.
Quand il mentionna que je faisais toujours partie de cette famille et que la porte était toujours ouverte, je fis un petit sourire gênée. Non pas que l'idée de retrouver la famille des Praetor Lupus ne me faisait pas envie. Bien au contraire, avoir refusé il y a des années restait l'un de mes plus grands regrets, mais je devais être honnête avec Zacharya. Pas envers l'ami, mais aussi envers l'alpha.

- Merci Zach. Mais sur ce point, je ne suis pas certaine que tu aies raison. L'offre qui a été faite à Nimue Jones, je ne suis pas certaine que tu la ferais de nouveau à Nimue Lundberg. Je n'ai pas seulement changé de nom de famille, Zacharya. Il y a des évolutions dans ma vie qui ont fait que la louve d'avant n'est plus la louve de maintenant.

Oui physiquement je ne semblais pas avoir beaucoup changé. L'un des avantages lupins était qu'on vieillissait moins vite en apparence. Mais mentalement, je n'étais plus la même. D'un point de vue positif, j'avais mûri et gagné en confiance et en maîtrise. Mais d'un point de vue négatif, je n'étais plus aussi innocente et définitivement plus inoffensive. J'avais été forcé de devenir plus dure psychologiquement. Et aussi plus féroce. Mais si je pouvais être dangereuse pour mes ennemis, je prenais le risque de le devenir pour mes amis. Surtout que mon cercle de proches ne contenait pas que des enfants de chœur.

- Les moyens que j'ai à ma disposition pour aider la communauté magique sont bien plus importants qu'avant. Dans de multiples domaines. Mais ça m'a forcé à avoir certaines responsabilités. Et certains ennemis aussi.

Je voulais lui faire comprendre que s'il n'y avait que moi, j'accepterais les yeux fermés de rejoindre les Praetor. Mais cela signifiait appartenir à une meute. Et en tant qu'alpha, je savais qu'il prenait ses décisions pour le bien commun de sa meute. De sa famille. Son offre, il la faisait à la Nimue qu'il avait connue. À Nimue Jones. Celle que je n'étais plus vraiment.

Je me souvenais de Zacharya à l'époque où il n'était encore que bêta. Et déjà l'époque, il était doué pour aider les créatures dans le besoin. Je l'avais toujours admiré pour ça. Et maintenant qu'il était alpha, je savais qu'il avait les compétences pour transmettre à l'ensemble de sa meute et qu'il continuait à agir comme il l'avait toujours fait. En aidant les autres. Pour preuve, il était également devenu psychologue. Un métier qui était dans la continuité de sa mission au sein des Praetor Lupus. Passé le sujet de ce que nous étions chacun devenus professionnellement, nous en étions désormais à ce que nous étions devenus en tant que loup. Et Zacharya m'offrait la possibilité de me confier à lui, après que je lui ai répondu que je n'étais plus la Nimue Jones qu'il avait connu.

- Si tu penses que c'est nécessaire.

Ce n'est pas que je tenais à en parler, mais il était vrai qu'il était utile qu'il le sache. Et je ne voyais pas de raisons de le lui cacher.

- Depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, mes capacités se sont amplifiées et j'ai découvert à quelle classe de loups j'appartiens.

Il n'y avait pas à proprement parlé de "catégories" chez les loups. Mais pour une race habituée à être en meute, on apprenait vite à essayer de trouver des rôles selon le caractère et les pouvoirs que pouvait avoir le loup. Dans certaines meutes, on en faisait même des rôles officiels. Mais le plus souvent, c'était un moyen d'organiser la meute pour que chacun puise avoir sa place et son utilité, que ça serve à maintenir une sorte de cohésion de groupe. Il y avait ceux qui avaient des prédispositions ou des affinités pour être des guérisseurs qui prenait soin des autres, il y avait des leaders, les stratèges, etc. Et puis il y avait ceux comme moi.

- Je suis une traqueuse, Mooney. Une très bonne traqueuse de surcroît. Et tu sais ce que ça veut dire.

Les traqueurs étaient les loups naturellement doués pour retrouver des cibles. Les loups avec une prédisposition naturelle pour la chasse. C'étaient d'excellents combattants qu'il était dur de semer. Mais hélas, les traqueurs étaient souvent des électrons libres difficiles à canaliser. C'était plus souvent des loups solitaires qu'appartenant à une meute. Ce n'est pas qu'ils ne pouvaient ou ne voulaient pas être dans une meute. C'était que leur caractère rendait plus difficile l'intégration. Ils étaient utiles et efficaces, ce qui le rendait intéressant aux yeux d'alphas. Mais le plus souvent, les alphas préféraient les laisser indépendants et les utiliser en "carte joker" plutôt que de les faire rentrer dans leur meute en sachant que ces loups seraient toujours plus omégas que bêtas de nature. Une fois encore, je voulais que Zacharya sache à quoi s'attendre avec moi.

- C'est gentil. Mais le danger vient autant de moi que de mon entourage. Parmi mes amis, il y a des gens puissants tout autant que dangereux. Certains de mes amis sont des fondateurs et d'autres sont des démons. Il y a même une membre de la Triade, je crois. Certains de mes ennemis sont des fondateurs et d'autres des démons également. De la Triade aussi. Tu comprends maintenant pourquoi je t'ai dit que l'offre qui m'a été faite autrefois lorsque j'étais encore Nimue Jones, je ne suis pas sûre que tu la ferais de nouveau à celle que je suis aujourd'hui.

Quand on appartenait à une meute, les alliés et ennemis de l'un, deviennent ceux de tout le monde. Et j'en ai pas mal. Et des féroces. Zacharya était un ami et je savais qu'il serait toujours là pour m'aider. Cependant, c'était par ailleurs un alpha ayant la responsabilité des membres de sa meute. Mais m'offrirait-il encore une place, sachant maintenant quel genre de risques ma présence pourrait amener au sein de sa meute ? C'était ça que je venais de lui dire. Je ne refusais pas. Tout comme je ne voulais pas accepter en cachant tout que je portais comme bagage bien rempli.

C'était étrange que malgré le fait que ces retrouvailles avec Zacharya fassent se rassembler la moi du passé avec la moi du présent sans que ça soit plus perturbant que ça. Parler avec le loup avait quelque chose de naturellement familier et en même temps, c'était nouveau, car c'était comme si nous étions en train d'effectuer une mise à jour de notre relation, avec de nouvelles données complémentaires. Zacharya semblait voir positivement le fait que je sois devenue une traqueuse, comme s'il n'y avait rien d'illogique à ça. Pourtant, quand je l'avais réalisé, ça m'avait perturbé moi-même. Parce qu'en fouillant dans mes souvenirs, j'avais eu la sensation qu'il n'y avait eu aucun élément qui aurait pu indiquer que cette voie aurait été la mienne. Et si aujourd'hui, j'acceptais pleinement ce que j'étais, lors de la découverte, ça n'avait pas été simple à assumer.

- Vraiment ?

Mon visage se mit à trahir, malgré moi, une moue dubitative. Était-ce une si bonne chose ? Je ne remettais pas en questions mes propres compétences ou l'opinion de Zacharya, mais j'étais objectivement incapable de voir en quoi être une excellente traqueuse était une si bonne chose. Certes, cela avait son utilité, mais au regard de tout ce que ça amenait de complications annexes aussi bien psychologiquement qu'en termes de dangerosité, j'avais véritablement du mal à définir ça comme une bonne nouvelle. Mais je supposais qu'un regard extérieur était peut-être plus objectif et rationnel que le mien qui était purement subjectif. Bien que peu convaincue, je lui offris un sourire de réponse.

- Tu es quelqu'un de loyal Mooney, je n'imagine même pas cela possible que tu puisses tourner le dos à qui que ce soit. Et encore moins à des amis.

Je n'avais même pas pensé une seule seconde que cela puisse être possible. Aussi, je tentais d'être plus claire sur le pourquoi j'avais dit que je n'étais pas sûre que la proposition qui avait été faire à la moi du passé, il ne la ferait probablement pas à la moi du présent, en sachant tout ce que je trainais comme bagages menaçants.

- Mais j'ai aussi conscience que tu es devenu un alpha qui a la responsabilité de sa meute. Et si mon existence avait été un danger pour ta meute, cela n'aurait pas été me tourner le dos que de prioriser la sécurité des tiens pour un élément extérieur, même si c'est un proche.

J'étais une louve. Je n'étais pas une alpha, mais j'étais à même de comprendre le fonctionnement d'une meute et à réussir à entrevoir le genre de responsabilités qui pouvait incomber à Zacharya et le poids que cela pouvait avoir. S'il avait vu en moi un danger pour la sécurité de sa meute et m'avait demandé de garder une distance de précaution, je l'aurais non seulement accepté, mais également compris sans que je le prenne comme un abandon. C'était ainsi que fonctionnaient les loups. Ils étaient loyaux de nature, mais au sein d'une meute, cela pouvait être exacerbé. La meute était bien plus qu'une famille, tant au rapport affectif que hiérarchique du terme.

- J'ai refusé cette offre par le passé, car je ne voulais pas prendre le risque que si je retrouvais un jour mon père, que cela engendre un conflit de loyauté par le futur entre deux meutes. J'ai pour principe "Plutôt refuser qu'abandonner." Je ne donne pas aisément ma confiance ou ma loyauté, et encore moins de tel engagement de ma part. Lorsque je le fais, c'est définitif.

Si Zacharya était prêt à m'accueillir au sein de sa meute, même après tout ce que je lui avais révélé et en sachant le genre de bagages que j'apportais avec moi, il était évident que j'allais accepter sans la moindre hésitation.

- Puisque je sais désormais que tu fais cette offre en toute connaissance de cause, je l'accepte avec honneur et plaisir. Si tu ne crains pas de m'accepter avec mes ennemis, alors mes alliés, mes compétences et l'ensemble de mes ressources seront les tiennes.

Ma voix était sincère. Ce que j'étais prête à offrir n'était pas juste un engagement envers un ami de longue date, c'était également envers un alpha et envers la meute.