Herbes et transformation {Ivy} ♧ Action où vérité ~ Terminé

fin février 2030
La matinée était calme. Mon frère Rory était absent. Il avait pris une livraison, mais ensuite, je crois qu'il avait une audition ou un rencard avec un crush. Ou alors, il allait à une audition pour aller voir un crush... Enfin bref, Rory était occupé en extérieur et j'étais seule à la boutique. J'étais au rez-de-chaussée, listant les baumes et remèdes naturels pour voir si les stocks étaient encore bons ou si je devais en re-préparer dans l'arrière-boutique. Avant que la porte de la boutique ne s'ouvre, mon empathie avait déjà capté une présence arrivante. Tournant la tête vers l'entrée, je vis un visage familier franchir le seuil. Je l'accueillis d'un sourire franc et entier.

- Bonjour Chiron.

Il avait besoin de germandrée. C'était une plante que je connaissais bien. J'en incluais dans certains des baumes que je vendais. Je hochais positivement la tête face à sa requête.

- J'en ai des graines, en effet. Si tu cherches des plants, je peux t'en faire de suite.

Il était vrai que cette plante ne poussait aux abords de la Méditerranée, mais entre les mains d'une nymphe, des graines pouvaient devenir des pousses sans restriction de zone géographique. Et Chiron avait de la chance, j'étais justement une nymphe. Enfin à moitié, mais j'avais la part nécessaire pour que ça fonctionne à 100%.

- Sache que je ne suis pas femme à espionner au télescope ou aux jumelles. Je me déplace toujours sur site pour faire de l'observation directe.

Je fis un clin d'œil au centaure. L'espionnage, c'était pour les timides ou les lâches. Et je n'étais ni l'un, ni l'autre. S'il y avait bien un mot qui ne me concernait pas du tout, c'était introvertie. Et hélas, il n'y avait à mater en face. La boutique était nichée dans une impasse. Certes, nous étions en centre-ville, mais elle n'avait pas vitrine sur rue passante. Et ce n'était pas le but. Cette impasse discrète permettait à qui voulait se téléporter à proximité de le faire en limitant les risques de témoins humains. Commercialement, c'était u avantage. Mais du coup, ça me privait de voisinage sympathique.

- Sans compter que je suis une femme mariée maintenant. Bon ok, je ne sais toujours pas qui est mon mari. Mais quand même, je suis une femme respectable, monsieur...

J'avais pris une voix faussement offusquée. Parce que ce que je venais de dire suffisait à lui seul à ne pas me rendre crédible. Mariage à Vegas bourrée et respectabilité, ce n'était pas vraiment une combinaison efficace. Surtout que mater les belles courbes masculines ou féminines, c'était totalement mon style. Quel était le mal de regarder ce qui était attrayant ? La beauté, c'était fait pour être admiré. Et les nymphes étaient des esthètes dans l'âme qui savaient reconnaître les cadeaux de la nature.

Alors que Chiron évoquait notre pouvoir commun, je hochais positivement la tête, tout en faisant pousser en express un plan de germandrées dans un pot de moyenne taille. Je tendis ensuite le pot à Chiron.

- Et voilà pour toi. Pour ma part, j'ai réussi récemment à faire évoluer davantage mon pouvoir jusqu'à la phytokinésie et quand je maîtriserai bien mieux cette nouvelle évolution, j'entreverrai son plein potentiel et ce que cela m'offre davantage. Mais oui.

Même si je ne maitrisais pour le moment que très peu cette nouvelle évolution, j'avais entraperçu que je pourrais désormais être capable de bien plus que jusqu'à présent. C'était à la fois excitant et effrayant. Je risquais maintenant d'être encore plus surnommée Poison Ivy qu'avant. À croire que mes parents avaient plutôt donné dans la prémonition que dans la blague en m'appelant ainsi. Et pour avoir entraperçu mon pouvoir aussi beau que dangereux entre de mauvaises mains, je ne limiterais plus jamais les nymphes au côté hippie. Elles étaient définitivement séductrices, légères et adeptes de la fête, mais plus jamais je ne les décrirais comme irresponsables. Ma mère n'avait peut-être aucune notion de responsabilité maternelle, mais vis-à-vis de la nature, je comprenais bien plus désormais à quel point elle pourrait être une protectrice redoutable et qu'il était rassurant qu'elle soit une créature pacifique.

- Tu devrais essayer de nouveau. Pour un pacifique pour toi, il t'offrirait de quoi de défendre de manière non violente. Il peut être agressif dans des mains offensives, mais pour qui veut éviter le conflit, la nature peut se révéler un moyen de défense efficace pour retarder un adversaire le temps de te permettre de partir loin de tout combat.

Pour le peu que je connaissais du centaure, j'avais déjà vite cerné que s'il était protecteur avec ses proches, la violence n'était pas dans son caractère. Bien au contraire.

- Si tu as besoin d'aide pour apprendre à le maitriser davantage, ma porte est ouverte. Je le fais déjà en partie avec mon frère Rory. Même si je sais que tu as plus l'âme d'un professeur que d'un élève, l'offre est valide.

De mon côté, je n'étais pas une professeur expérimenté et je n'avais aucun attrait pour l'enseignement. Mais entre créatures, on devait s'entraider. Et il était toujours plus facile d'apprendre à se maîtriser avec quelqu'un qui était passé par là et avait les trucs et astuces pour rendre ça plus facile et moins perturbant que de le faire seul.
Lorsqu'il me félicita ensuite pour Vegas, je fis un sourire amusé.

- Ce n'était pas prévu. Mais Vegas étant Vegas...

Ok, il y avait peu de chances que le centaure ait la référence sur tout ce qu'était cette ville surnommée la ville de tous les vices. Et encore moins qu'il soit tenté d'y aller un jour. Il ne risquait doc pas de comprendre et je n'étais pas certaine qu'il ait besoin ou envie que je m'explique davantage. Quant à sa remarque sur le fait que je ferais partie de la famille si c'était un centaure, j'offris une moue désolée.

- Je doute que ce soit un centaure. Longue histoire.

Je ne savais pas qui j'avais épousé. Et Rory semblait plus motivé que moi pour le découvrir. Mais des rares indices que j'avais obtenus sur "mon cher et tendre", c'était quelqu'un que j'avais déjà croisé, car le jour j, j'étais contente de voir quelqu'un de San Francisco. Dixit le strip teaser du "Poisoned Ivy". Yep, c'était le nom du strip club où Rory avait chanté du Céline Dion et où j'avais emprunté "ma robe de mariée" rouge de Jessica Rabbit, à un drag qui était le sosie de la chanteuse Cher. Et donc si j'avais épousé une connaissance ou au minimum un client, il y avait zéro chance que ce fut un centaure étant donné que Chiron était le seul que je connaissais. Et je n'avais pas épousé Chiron.
J'entendis Chiron mentionner un objet et je tournais la tête pour voir d quoi, il parlait. Je me mis aussitôt à crier.

- N'y touche surtout pas !

Trop tard. Le centaure venait de mettre les mains sur un artéfact en provenance du marché obscur et que je devais livrer dans quelques heures. Et si j'avais le nom du client, j'ignorais ce qu'était l'artéfact. Je savais juste que si je pouvais toucher la boîte et ouvrir celle-ci sans risque pour vérifier l'état avant livraison, je ne devais surtout pas toucher l'objet. Et je comprenais maintenant pourquoi.

- Je reviens, ne bouge surtout pas.

Je descendis en quatrième vitesse au rez-de-chaussée, récupérer un miroir et je remontais l'escalier quatre à quatre. À mon retour, la situation était la même, ce n'était pas une illusion. Je tendis le miroir à Chiron.

- Je ne sais pas si ça va te consoler, mais tu es sexy comme ça. Carrément.

En lieu et place du centaure se tenait désormais une centauresse ou sa forme humaine. Et la version féminine du centaure était très belle.

J'avais crié à Chiron ne pas toucher, mais c'était trop tard. Et la transformation avait eu lieu. Et quelle transformation. Outre le changement de genre, le style vestimentaire avait, lui aussi, subi un changement. Je n'allais pas mentir, c'était à l'avantage du centaure. Mais j'ignorais si ça serait au goût de son épouse et de sa fille. Sans compter que si ça avait changé le style vestimentaire en plus du genre, qu'est-ce que ça avait pu changer d'autre en Chiron ? Son caractère ? Ou même ses pouvoirs ?

- Repose le tout de suite !

Ma voix avait été directive, peut-être un peu trop stricte, mais il fallait absolument que le centaure -enfin maintenant la centauresse- repose cet objet et calme sa curiosité. L'objet était responsable de son état, on l'avait compris. Mais on ignorait quel était les effets réels et combien de temps ça allait durer. Mais d'expérience, il valait mieux éviter de retoucher un objet magique qui nous avait déjà transformé. Déjà parce que ça n'allait pas aider à revenir à la normale, mais aussi parce que plus, on touchait, plus le risque que les effets durent voire deviennent définitifs, étaient risqués. Et puis parce que je lui avais déjà dit une fois de ne pas y toucher, ce n'était pas pour qu'iel continue.

- Pas que le genre, visiblement, il t'a fait un relooking complet au passage. Si tu n'avais changé que de genre, tu devrais être dans ton costume qui aurait été trop grand.

Et là Chiron était passé du prof gentil, mais au style guindé presque coincé, à une tenue de sympathique et sexy cougar en un clin d'œil. Ce n'était pas vraiment le principe du changement de genre seul, il semblait qu'en plus de changer son genre, cet objet avait aussi modifié son style pour optimiser son potentiel de séduction. Et ça ne devait pas être anodin. Cet objet devait avoir une fonction bien précise, sauf que j'ignorais quoi vu que de base, je devais juste le livrer et pas le toucher. Et je n'avais pas prévu à l'origine qu'un centaure trop curieux, pourtant prof supposément responsable, vienne toucher un objet dont il ne savait rien. Je découvrais ainsi cette facette de Chiron. Il était intelligent et responsable, mais la curiosité pouvait le pousser à devenir irresponsable parfois, visiblement. J'allais donc devoir lui expliquer la situation plus clairement pour qu'il arrête de vouloir toucher le télescope.

- C'est un objet que je dois livrer au nom du marché obscur, ce n'est pas un objet de ma boutique. J'ignore son fonctionnement, j'ignore la durée de son effet. Mais on m'a expressément dit de ne pas y toucher, d'où le fait que je t'ai averti de ne pas le faire. Maintenant, c'est trop tard, on va devoir trouver comment régler ça, sans que je doive prévenir le fournisseur que quelqu'un y a touché sans savoir. Alors laisse cet objet tranquille. Et règle numéro 1 des objets magiques : on ne touche pas quand on ne sait pas. Règle numéro 2 des objets magiques : si on a touché et qu'on a été transformé, on ne retouche pas, parce que plus, tu touches, plus tu risques de rendre ça définir.

Pour le coup, j'avais la sensation d'être la prof dans l'histoire. C'était un peu perturbant d'avoir le rôle de la personne responsable quand en face j'avais un vrai prof de l'école de magie et pas un de mes frères qui venait de faire une connerie.

- Tu pourras dire ces règles à tes élèves. Le "pas touche quand on ne sait pas" c'est un basique universel. Bon maintenant, on va devoir trouver comment te rendre ton corps et ton genre originel. Enfin sauf si tu souhaites rester avec ce corps et que ce genre est celui dans lequel tu te reconnais et dans ce cas, je t'aiderai à trouver comment rendre ça définitif.

Après tout, je ne connaissais Chiron qu'en tant qu'homme, mais peut-être qu'il ne s'était jamais senti dans le bon genre. Je pouvais l'ignorer, ce n'était pas forcément quelque chose auquel on parlait avec une commerçante amicale, mais pas forcément assez amie pour ce genre de sujet privé. Dans ce cas, ça pouvait laisser sous-entendre que le télescope ne changeait pas de genre par accident, mais servait à révéler la vraie nature d'une personne ? Il fallait vraiment que j'en sache plus sur cet objet et sur sa fonction autant que son fonctionnement. Ça devenait assez urgent. Première étape, fouiller les ouvrages issus du marché obscur que j'avais dans mon arrière-boutique et qui était là pour moi et non pour vendre. Deuxième étape, si les livres ne suffisaient pas, je devrais appeler mon contact. Si je pouvais éviter, ça m'arrangerait. Mais en même temps, Chiron avait besoin d'aide. Soit pour récupérer son genre initial, soit pour rester dans celui-là. Mais il avait besoin de réponses et moi aussi.

Je comprenais l'attrait de la nouveauté pour Chiron qui découvrait de nouvelles facettes de la magie en même temps que ce nouveau monde, depuis sa sortie récente.

- La curiosité est une chose saine, mais elle a ses limites. Et la limite, c'est le risque. Et c'est moi qui te dis ça.

Alors que j'étais loin d'être un modèle de précaution. J'étais plus du style à tester plutôt qu'à étudier. D'ailleurs ça me faisait un peu drôle que de nous deux, ce soit moi qui paraisse agir de manière responsable aujourd'hui. Mais je connaissais assez la magie pour savoir que les objets magiques, ce n'était pas comme utiliser des pouvoirs. Les pouvoirs demandaient de la maîtrise, les objets, eux, avaient des modes d'emploi. Et si les objets technologiques, j'avais tendance à esquiver la lecture des modes d'emploi -parce que c'était chiant- les objets magiques, je devenais d'un coup une lectrice assidue. Et j'étais surprise de voir que dès qu'il s'agissait de curiosité, le centaure cessait d'agir en professeur et devenait aussi irresponsable qu'un gosse. Comme quoi, même le plus guindé des enseignants pouvait receler un sale gosse touche à tout au fond de lui. C'était mignon à noter. Pas rassurant, mais émouvant.

- Tu devrais appliquer à toi-même, ce que tu imposes à tes élèves dans ce cas. S'ils ne doivent pas toucher, toi non.

Ça prouvait une fois encore que les cordonniers étaient souvent les plus mal chaussés. Mais de toute manière, je doutais que ma boutique puisse faire l'objet d'une sortie scolaire éducative. Et si des objets de ce genre pouvaient se cacher dans les tréfonds de l'école de magie, il y a d'immenses chances que les fondateurs en charge du lieu les aient bien cachés, là où potentiellement, même Chiron ne devait pas avoir accès. Surtout que les fondateurs étaient d'un naturel cachottiers et que Chiron n'était sorti que récemment du Tartare. Sans compter que je ne doutais pas du côté protecteur du centaure avec ses élèves.

- Alors sans remettre en cause ton intuition, tu ne devrais pas trop t'y reposer. Il est vrai que tout bouge, mais certains changements magiques sans être immuables peuvent durer longtemps. Parfois plus longtemps que ton propre cycle de vie. Je ne dis pas que ce qui arrive là sera définitif. Je dis qu'on devrait en savoir plus avant d'affirmer quoi que ce soit. Je ne voudrais pas que tu te fasses des espoirs basés sur ton intuition et prendre le risque que ces espoirs soient ensuite déçus si ton instinct pouvait faillir.

Comme Chiron, j'étais d'un naturel optimiste et d'instinct, j'avais dans l'idée que nous allions pouvoir trouver une solution à ce problème. Je doutais fort que le client aurait acheté ce genre d'objet sans avoir connaissance d'un moyen de contrer les effets si ça s'activait par accident. Ce genre d'objet, avec l'usage qu'il semblait offrir, semblait plus style personnel qu'arme. Par conséquent, ça paraissait plus rangé dans la catégorie "avec bouton on-off" que "si c'est ingérable et que ça pète, balance-le loin". Pour autant, en tant que commerçante, je devais parfois me faire avocate du Diable pour rappeler que ce que je vendais ou livrais, restait lié à la magie et que la magie, c'était plus instable et vaste que la connaissance qu'on pouvait en avoir.

- Bon regardons là-dedans.

J'avais fait l'aller-retour dans l'arrière boutique et j'en ramenais de vieux livres et grimoire. Ceux là n'étaient pas à vendre. C'était ma collection personnelle. Certains étaient très vieux et c'était un mélange de recueils, certains de magie blanche, d'autres de magie noire. Mais n'étant pas une combattante, ni une sorcière, ces livres étaient là pour que la connaissance me serve à la fois d'arme et de protection supplémentaire. Posant les livres sur la table, je mis les mains dessus et levait un regard sévère vers la femme qui me faisait face.

- Pas touche.

J'entrevoyais déjà que la curiosité du centaure l'amenerait à vouloir feuilleter les autres tandis que j'en lirais un, et je préférais mettre le hola de suite. J'avais acquis cette collection privée de livres magiques via diverses sources. Certaines bénéfiques, d'autres absolument pas. J'étais neutre, je n'appartenais à aucun camp. Mais Chiron était prof à l'école de magie, un lieu dirigé par les autorités bénéfiques. Et les ouvrages et grimoires magiques d'un camp avaient tendance à se protéger d'eux même du camp adverse. Il n'était pas rare que le livre des ombres d'une sorcière bénéfique, par exemple, ne puisse pas être touché par les représentants du mal. Et inversement. J'étais neutre et mon absence d'affiliation me permettait de toucher tous ces ouvrages sans risque. Mais Chiron travaillait pour le bien. Il était probable que s'il touchait un ouvrage maléfique, le livre se protège de lui-même. Et je ne voulais pas prendre le risque qu'un de ces vieux ouvrages de valeur, puisse par exemple effacer ses pages, juste parce qu'un centaure trop curieux avait voulu le feuilleter. Surtout si c'était celui qui aurait pu contenir des informations pouvant annuler les effets de l'objet magique. Alors mon "pas touche" était des plus sérieux, je ne plaisantais pas. Ce qui chez moi étaient rare. C'était plus souvent d'humeur charmeuse et festive. Pour autant, quand j'étais dans ma boutique ou quand je parlais magie, j'avais conscience du risque et je pouvais révéler une facette plus responsable qui pouvait surprendre ceux qui avaient une image 100% nymphe de moi.

Visiblement Chiron ne semblait pas perturbé outre mesure des effets d'avoir touché un objet inconnu. Et à l'entendre répondre qu'il préférait que la magie l'ait touché lui plutôt qu'un des élèves, ça laissait entrevoir que se retrouver dans ce corps qui n'était pas le sien initialement, ça ne l'avait pas vacciné et que dans le futur, il y avait un risque qu'il refasse la même chose. Je levais les yeux au ciel en souriant. A ce genre de comportement, on aurait presque pu croire qu'il était davantage de la famille des nymphes que des centaures.

- A cette époque, ta façon d'agir serait considéré comme du "Faites ce que je dis, pas ce que je fais." Et ce serait un peu hypocrite.

Je fis un clin d'œil pour traduire que ma remarque était une taquinerie plus qu'un reproche.

- Si ce sont tes disciples, cela implique que tu es le mentor. Si tu es le mentor, tu n'es pas juste un professeur, tu es également le modèle qui sert d'inspiration. Et par conséquent, tu dois montrer l'exemple.

Bon d'accord, je donnais peut-être dans la réthorique et jouait avec les mots, mais Chiron avait tendance à appeler les élèves de l'école de magie "ses disciples". Bien évidemement, à l'époque antique d'où il venait, le mentorat était le seul enseignement disponible et sa façon de parler traduisait ses origines temporelles. Mais désormais, l'école existait et professorat et mentorat étaient deux choses bien distinctes. Les professeurs enseignaient un savoir-faire, là où les mentors enseignaient davantage un savoir être désormais.

- Mentors et professeurs sont deux choses désormais. Les élèves choisissent leurs écoles, pas les professeurs qui y officient. Alors que les disciples choisissent leurs mentors et pas forcément dans les écoles.

Je tentais d'aider Chiron à s'adapter à l'époque auquel il appartenait désormais, depuis sa sortie de Tartare. Il avait déjà beaucoup appris, mais il lui restait beaucoup à apprendre. Et ça ne passait pas qu'au niveau de la magie ou de la société, mais aussi au niveau des rapports humains ou de la façon d'enseigner. Il y avait davantage d'enseignants que de mentors et le mot "disciple" était souvent perçu comme soit désuet, soit comme infantilisant.

- Non, mais je connais un sort qui permet de lire un texte dans une autre langue et de le comprendre comme si c'était dans ma langue. Ça marche sur les langues vivantes et mortes, mais pas sur les langages "magiques" type langue démoniaque.

J'enviais le pouvoir d'omnilinguisme que possédaient certaines créatures. A choisir entre l'empathie et l'omnilinguisme, j'aurais aisément préféré opter pour le second. Comprendre les émotions des autres était utile, bien qu'épuisant et envahissant autant pour la personne que pour moi. Mais comprendre toutes les langues aurait été tellement plus profitable, à mes yeux.

- Tu as appris rapidement, tu peux en être fier. Tu as peut-être des prédispositions pour les langues étrangères. Il est vrai que nymphes et satyres peuvent connaître certaines langues antiques considérées comme "mortes" selon leur âge. Mais ce n'est pas mon cas, j'ai été élevée par un humain et je dois utiliser la magie pour traduire certains textes.

Ou faire appel à des personnes parlant la langue ou dôtés d'omnilinguisme comme les êtres de lumières ou certains métamorphes. Mais sinon, comme les humains, j'en étais réduite à apprendre une langue étrangère de manière "traditionnelle" ou à tricher magiquement. Enfin tricher....à utiliser des facilités surnaturelles, ça sonnait plus élégant dit comme ça.

- Possible que ma mère parle grec ancien, elle.

Faudrait que je lui demande la prochaine fois que je la verrais. Mais avec elle, les rencontres étaient tellement aléatoires que je n'étais pas certaine que ce soit avant plusieurs mois. Sauf si j'organisais une rencontre pour un motif plus spécifique que connaître ses compétences linguistiques.

Je me concentrais donc de nouveau sur la lecture des ouvrages. Je ne devais pas perdre trop de temps. D'un côté, il fallait trouver une solution pour Chiron, de l'autre, j'avais justement utilisé le sort de traduction et si son efficacité était prouvée, sa durée d'action laissait à désirer. Les effets se dissiperaient assez vite, je ne devais pas perdre de temps. Après tout, c'était un sort, pas un pouvoir et il avait été crée autrefois pour un usage limité afin d'aider.

- Rien dans celui-là.

Je refermais le livre avec fermeté et frustration. Je pris le second ouvrage. Celui-là était écrit en anglais, je n'aurais pas besoin des effets du sort qui se dissipait déjà. Il fallait espérer qu'il y ait une réponse, sinon il faudrait que je contacte le vendeur initial pour obtenir des réponses.

Je fis un petit sourire quand Chiron m'expliqua avoir été élevé par un humain. Cela nous faisait un point commun. Il était vrai que pour une créature magique, il était différent d'être élevé par d'autres créatures ou d'être élevé par des humains. Le rapport à la magie était différent. Je tentais donc d'expliquer plus précisément mes propos car quand Chiron m'indiqua qu'il préférait être celui qui payait les conséquences de la magie, je réalisais qu'il n'avait pas compris ce que j'avais voulu dire par l'hypocrisie du "Faites ce que je dis, pas ce que je fais."

- Ce n'est pas un problème de payer le prix. C'est davantage une question de respecter tes propres enseignements. Tu ne peux pas légitimement attendre de tes élèves qu'ils donnent du crédit à tes conseils si tu ne les respectes pas toi-même.

Principe de base.

- J'ai été traiteur pendant un certain temps et si j'ai appris une chose, c'est que personne ne mangera des plats que tu ne mangerais pas toi-même. Ca serait suspicieux que tu ne mange pas ce que tu cuisines, comme si tu savais ce que tu avais préparé, c'était pourri. J'ai envie de dire que les profs et les mentors, c'est pareil. Si tu dis à un de tes élèves de ne pas toucher quelque chose sans savoir parce que c'est stupide et dangereux, ne le fais pas toi-même. Sinon ça voudrait dire que tes conseils ne sont des mots sans aucune valeur d'enseignement.

Je fis une petite moue gênée. J'avais l'impression de parler à Rory quand je lui enseignais les bases de la magie. Ce qui était perturbant, car Chiron était un professeur et moi je n'avais pas l'habitude d'être la personnalité raisonnable dans ce genre de binôme. Dieu merci, c'était aussi temporaire que la transformation physique que subissait le centaure.

- Oui, je sais, cette époque est bien plus exigeante que la tienne. À ton époque, l'ancienneté de l'âge suffisait à valoriser la sagesse. Mais que veux-tu, maintenant qu'on a le savoir à portée de main avec Internet, on est devenus plus pointilleux...ou plus chiants. Parfois les deux réunis.

Entre le moment où Chiron c'était retrouvé au Tartare et celui où sa famille et lui en étaient sortis, des siècles étaient passés. Tellement de changements et par forcément toujours pour le meilleur. La société avait évolué et la notion de mentorat et de professorat également. Autrefois, la sagesse de l'ancien était respectée, faisant quasi-parole d'évangile. Mais aujourd'hui il suffisait d'un clic pour obtenir multitudes de réponses à tout autant de questions. Internet offrait le savoir, c'était le positif, mais le prix à payer c'était que désormais les anciens et les mentors avaient beaucoup à transmettre. Ils étaient en rivalité avec le web et les plus jeunes pouvant apprendre rapidement et facilement, le respect de cette sagesse des anciens, avait bien souvent disparu. Chiron allait devoir apprendre et réaliser que ses "disciples" n'étaient plus comme jadis et que s'il voulait continuer à pouvoir transmettre aux autres, il allait devoir aussi apprendre à respecter ses propres enseignements pour montrer l'exemple.

- Oh non, je doute que celui là soit le bon. D'ailleurs, on va éviter de l'ouvrir.

L'ouvrage était attirant de pas sa couverture pour un amoureux des livres comme l'était le centaure. Mais je n'aurais pas dû le ramener ici et j'aurais dû le laisser dans l'arrière-boutique. L'ouvrage était ancien, mais il était aussi dangereux à ouvrir, même pour une habituée de la magie comme je l'étais. Il était fait pour des mains plus expertes à ce genre de magie ancestrale, mais instable. J'avais ramené ce que j'avais de vieux ouvrages, mais celui-là, même moi qui n'étais pas effrayée par le chaos, je m'en méfiais. Je le ramenais vers moi instinctivement, comme pour m'assurer qu'en aucun cas le centaure n'y toucherait. À voir l'apparence féminine qu'avait le mentor face à moi, j'avais comme la preuve que la curiosité pouvait rendre Chiron encore plus irresponsable que mon propre frère.

- Il est le livre des derniers recours. Derniers, derniers recours.

Genre quand toutes les autres options plus raisonnables et moins risquées avaient foirées. Et on en était pas là. Oui Chiron était dans le corps d'une femme et souhaitait récupérer son identité masculine, mais ce n'était pas ce qu'on pouvait appeler ça un cas extrême nécessitant des mesures extrêmes. On allait d'abord essayer toutes les méthodes plus modérées. Mon regard tomba sur un livre qui lui me sembla dans mon souvenir pouvoir potentiellement apporter des réponses.

- Par contre, attends un peu, celui-là peut-être.

Je le pris et l'ouvris. Il me fallut le feuilleter quelques minutes avant que mon visage s'éclaire enfin.

- Bingo. La bonne nouvelle, c'est que ce n'est pas définitif. La mauvaise nouvelle, c'est que je vais avoir du boulot pour remédier à ça. Duo de potions à boire dans un ordre précis+incantation à réciter pendant que tu toucheras l'objet.

Les potions ne semblaient pas complexes et je savais avoir les ingrédients dans la boutique. Le seul souci était que c'était des préparations longues et qu'il faudrait parfaitement respecter la chronologie tant dans la préparation qu'ensuite au moment où Chiron les boiraient. Ce qui me rassurait, c'était que je n'aurais pas besoin de contacter le vendeur. Mais j'allais devoir passer du temps à la mise en place de tout, pour remédier à cette situation.

Je fis un sourire désolé tout en me mordant la lèvre. Je n'avais définitivement pas l'habitude d'être une sorte de "voix de la raison". Enfin si, avec Rory. Mais c'était parce que rory et la raison....Rory quoi.

- Il n'y a pas d'âge pour apprendre. Après tout, la vie est tellement variée qu'il est impossible de tout connaître. Mais oui, sortir de ce genre d'endroit, ça va te demander un certain temps d'adaptation.

Que ce soit une mise à jour chronologique de ce monde, ou encore une adaptation dans la façon de se comporter.

- J'avais cru comprendre oui. Tu n'es pas un inconnu de l'Histoire. Même si ça a été écrit par des humains non initiés donc forcément...Tu es même évoqué dans une saga littéraire. Livres intéressants, adaptation cinématographique catastrophique.

Oui parce que la mythologie avait toujours intéressé les humains. Mais comme souvent avec les mythes et légendes magiques, les humains en manque d'informations, mais définitivement pas d'imagination, avaient tendance à combler les trous de leur ignorance par leurs fantasmes et pas mal d'extrapolations. Mais beaucoup, à défaut d'être vraies, étaient distrayantes.

- S'il y a une chose que je maîtrise parfaitement, c'est l'absence du père. Définitivement pas pour les mêmes raisons, mais je connais ça.

Parce qu'il était clair et certain que Chiron était aux antipodes de mon paternel. Il aurait davantage de similitudes avec mon oncle, celui qui m'avait élevée, qu'avec mon géniteur. Mais pour autant, je pouvais parfaitement comprendre ce que pouvait ressentir Ocyrhoé sans l'avoir jamais rencontrée. Son père avait une aura naturelle de mentor et ne pouvait s'empêcher de vouloir guider les plus jeunes. Mais forcément, le temps qu'il devait passer avec ces disciples avait dû être du temps qu'il ne lui avait pas accordée. Logique puisque Chiron ne pouvait pas se dédoubler matériellement. Et au vu de sa nature de mentor, s'il l'avait été, il était fort probable qu'il s'en serait servi pour aider encore plus d'élèves.

- Elle a dû se sentir dévalorisée par rapport à tes disciples. Il est fort probable qu'elle ait pu s'imaginer ou ressentir que si tu passais davantage de temps à guider ces héros légendaires qu'à être là pour la guider elle, c'était forcément parce qu'elle était moins intéressante à tes yeux qu'eux. Pas assez héroique pour être digne de tes enseignements ou quelque chose dans ce genre, je suppose. Pas parce que tu l'aimais et que tu savais qu'elle était déjà plus forte qu'eux.

Dans ce genre de cas, on avait souvent tendance à imaginer que c'était forcément notre faute, que ça ne pouvait pas être celle de l'adulte ou du contexte dans lequel il se trouvait. Et pour Ocyrhoé dont le père Chiron était "le plus juste des centaures" dixit lui-même, ça avait potentiellement dû accentuer la sensation que ça ne pouvait pas être à cause de lui et donc implicitement que ça devait être sa faute à elle.

- Mais elle est là avec toi maintenant. Et elle doit être aussi perdue que toi par cette sortie du Tartare. Peut-être que c'est le bon moment pour toi. Ce nouveau monde, c'est peut-être ton opportunité pour mettre en place un nouveau schéma de vie avec ta fille. Pour réparer que l'époque d'où tu venais ne permettait pas de faire.

Quelque ait pu être la complexité de la relation entre Chiron et sa fille, la sortie du Tartare était possiblement une chance de réparer des malentendus passés ou des incompréhensions. Chiron était quelqu'un naturellement à l'écoute des autres et profondément bienveillant. S'il y avait bien quelqu'un qui pouvait réctifier le tir dans ce genre de situation, c'était clairement lui, je n'en avais aucun doute. Il était possible que le contexte de sa Thessalie passée ait pu favoriser qu'il ait été occupé à tous ses disciples, mais aujourd'hui les choses avaient évolué et l'éducation s'était améliorée  en terme d'organisation, permettant davantage de liberté de temps aussi bien aux professeurs qu'aux élèves. Si Chiron en tirait avantage, cela lui offrirait sans doute plus de temps pour renouer avec sa fille et apprendre ensemble comment gérer ce nouveau monde dans lequel ils étaient perdus de la même manière. Je leur aurais bien conseillé d'y ajouter des séances de thérapie familiale, mais il semblait clair que ça ferait peut-être de trop à emmagasiner en termes de nouveautés pour le centaure.

- Je ne crois pas que cet artéfact ait ce genre d'effet. Il est possible que tu aies juste ressenti le besoin d'évacuer ce que tu avais sur le cœur. Et puis, je suis une empathe, je fais souvent cet effet-là. Pas magiquement, mais juste, le fait que je sois plus réceptive a tendance à amener les gens à se confier plus naturellement. Parce que je peux ressentir ce qu'ils ressentent. Mais tu n'as pas à t'excuser. Il n'y a aucun mal à dire ce qu'on ressent. C'est même plus sain que de tout refouler. Parole d'empathe. Ceux qui gardent tout sur le cœur sans jamais évacuer, quand je les croise, c'est comme se manger un tsunami d'émotions d'un coup.

Et on pouvait facilement se laisser emporter par la vague. Il était possible que le choc émotionnel qu'avait pu ressentir Chiron avec un tel changement si soudain de corps, l'ait poussé à se confier, pour essayer de se concentrer sur autre chose que le choc. Ou alors une histoire de changement hormonal trop violemment soudain ? Je n'ai ni médecin, ni psychologue pour pouvoir dire avec certitude ce qui avait pu amener le centaure à se livrer plus qu'il n'en avait l'habitude. Mais il n'avait aucune raison de s'excuser, il n'avait rien fait de mal.
Mais il semblait clair qu'il fallait trouver comment contrer les effets de l'artéfact. Si ça pouvait agir de cette manière sur sa physiologie ou sa psyché, il était évident qu'il y avait une certaine urgence à y remédier, car les effets, sans être dangereux, n'étaient pas non plus anodins.

- Pourquoi pas oui. Plus vite la potion sera faite, plus vite tu pourras te "retrouver", même si tu ne t'es pas vraiment perdu. Mais quatre mains valent mieux que deux.

Je notais au centaure les plantes nécessaires, sur une feuille et la lui tendis.

Chiron ne semblait pas à l'aise à l'idée de s'être autant livré. Il semblait clair que le centaure avait plus l'habitude d'être le confident que celui qui se confiait. Pourtant, être les deux était important. Etre à l'écoute était une grande qualité, mais savoir se confier était aussi nécessaire pour inspirer la confiance. Mais il semblait aussi évident que cette pudeur naturelle devait probablement lui venir de son éducation et des règles sociétales de son époque sans doute.

- C'est compréhensible. Quand on est perdu quelque part, on se raccroche à ce qui est familier et on tente de se repérer un minimum où on est et où on va, avant d'envisager d'aller rencontrer des personnes. Et une nouvelle époque, ce n'est pas juste déménager dans un autre pays. C'est déménager dans un autre temps, carrément.

Nous étions revenus à la problématique du jour. Rendre à Chiron son apparence d'origine. Et maintenant que nous savions comment le faire, nous allions devoir préparer tout ça. Je transmis au centaure une liste de plantes et tandis que Chiron partait en quête de plantes et de fleurs, je me chargeais du reste. Heureusement, je pouvais trouver le tout dans ma boutique. Je recopiais sur papier les incantations et rassemblais les poudres et ingrédients magiques. Je ne saurais dire combien de temps avait passé, mais déjà Chiron revenait les bras chargés du reste des ingrédients nécessaires.

- Merci.

Je récupérais les plantes. Il me faudrait un certain temps pour que toutes les mixtures soient prêtes. Certaines avaient des temps de pose. Je fis donc un thé à Chiron et lui proposais plusieurs ouvrages qui pouvaient être lus sans risques de créer des complications magiques, afin que le temps d'attente ne lui paraisse pas trop long.
Il fallut bien quasi une heure pour que tout soit préparé correctement. Je vérifiais bien une dernière fois que rien ne manquait, que j'avais bien suivi les procédures de préparation, puis appelait Chiron.

- Bon, je crois que c'est prêt. Alors, tu vas devoir faire exactement ce que je te dis.

Ma voix sonnait un peu directive, mais ce n'était plus Ivy la vendeuse qui parlait. C'était Ivy la demi-nymphe qui devait régler un problème magique. Et j'avais beau tenir une boutique de magie et la pratiquer, quand il s'agissait de faire des potions magiques et des incantations, je n'avais pas la fluidité aisée des sorciers qui en faisait plus fréquemment l'usage. J'avais parfaitement suivi les consignes, c'était un fait. Mais ce n'était pas mon domaine d'expertise et forcément, je restais sur la défensive vis-à-vis du résultat. Aussi, il était doublement important sachant cela que Chiron suive les consignes à la lettre et ne laisse pas sa curiosité prendre le pas.

- La procédure est extrêmement importante. Dévier même un peu de l'ordre précis, c'est prendre le risque, au mieux, que tu restes coincé sous cette apparence définitivement. Et il est préférable de ne pas penser au pire.

Certes, le pire ne mènerait pas à la mort. Mais ce n'est pas parce qu'une conséquence n'était pas léthale, qu'elle n'en serait pas une conséquence grave ou influant le sort de Chiron peut-être à vie. C'est pour ça qu'il fallait absolument bien suivre les règles. Oui, c'était moi qui osait dire ça.

- Potion 1. Tu la bois, puis aussitôt après tu récites ça.

Je posais la potion sur la table face à Chiron, c'était une potion d'un blanc un peu laiteux. Puis sous la fiole, une incantation en latin.

- Tu attends 5 minutes, puis tu bois à la suite sans interruption ces deux potions.

Je posais sur la table, dans l'ordre de prise, les deux flacons. Une bleutée, d'un bleu nuit intense, la seconde tirant vers un vert amande plus doux.

- Tu attends deux minutes et pour finir, tu bois cette potion, et aussitôt après, tu récites cette incantation en touchant l'artéfact. Ne touche pas l'artéfact avant d'avoir bu la dernière potion. C'est primordial que la dernière potion soit ingérée avant le contact.

Je posais enfin une potion, la dernière, la plus importante. Elle était d'une couleur rouge cerise intense et le flacon était plus rempli que les autres. Juste en dessous, je posais la seconde incantation, elle, en grec ancien. La langue de Chiron.
Puisqu'il devait y avoir des délais d'attente entre certaines prises, je mis entre les potions des minuteurs réglés aux bons timings qui seraient à activer dès la prise effectuée. Puis je désignais à Chiron la table d'un signe de la main et d'un sourire, je lui signalais qu'on pouvait commencer. Enfin Chiron pouvait commencer.

c'était la dernière ligne droite pour remédier à cet incident d'artéfact. Je préparais tout tandis que le centaure pouvait savourer un instant de répit en buvant du thé tout en lisant des ouvrages. Je ne lui avais pas offert de pâtisseries, par précaution, puisqu'il allait devoir ingérer plusieurs potions magiques qui seraient plus digestes sur un ventre vide de nourriture.

- Déformation professionnelle. J'ai longtemps été traiteur à domicile tout en tenant la boutique. Mais disons qu'aujourd'hui, la boutique seule me suffit, cumuler les deux ne serait plus possible. C'est sans doute un des rares avantages de tout ce chaos ambiant. Face à tout cet afflux de magie, la boutique ne craint pas la crise.

Oui ça sonnait opportuniste, mais c'était un fait. Ma boutique n'avait jamais eu autant de clientèle depuis le chaos du festival de l'Hiver. Pas du côté humain, mais plus du côté clientèle surnaturelle. Et puis, à l'image de Chiron, des créatures étaient libérées du Tartare, ce qui amenait une nouvelle clientèle en quête de réponses autant que d'aide pour se protéger.

Mais le sujet fut rapidement clos, puisque les préparations étaient prêtes.

- Juste un instant, je veux faire une dernière chose.

Je me dirigeais vers l'arrière-boutique et revint avec un appareil polaroid. J'avais bien des appareils plus modernes, mais j'aimais l'esthétique des photos que rendait l'appareil. Les clichés polaroid avaient un charme visuel autant que dans leur usage que les téléphones portables et appareils digitaux n'avaient pas. Il y avait une certaine magie un peu vintage dans le fait de voir la photo sortir aussitôt et de la secouer doucement pour la faire sécher. Je pris un premier cliché de Chiron, la posait sur la table à mes côtés et en pris un deuxième. Que je posais également. Puis je posais enfin l'appareil et désignais au centaure les potions. Je récupérais les deux clichés et les secouaient délicatement afin d'en accélérer le séchage de l'impression tandis que Chiron respectait la procédure pour reprendre son apparence initiale.

Il fallut un court instant qui parut une éternité pour qui attendait un résultat positif. Et progressivement je vis le centaure reprendre son apparence sous mes yeux. Si Chiron devait le vivre via des ressentis, de mon côté, j'y assistais de mes yeux. Et j'avais beau être familière de la magie, je devais avouer que la métamorphose qui s'opérait sous mes yeux restait impressionnante. J'étais ainsi rassurée de voir que j'avais bien su mettre en place le protocole pour mettre fin à la transformation initiée par l'artéfact. Lorsque Chiron parla enfin pour me demander si c'était bon, j'entendis que sa voix initiale elle-même avait fait son retour. Je hochais positivement la tête avec un grand sourire.

- Ah vous revoilà monsieur le professeur !

C'était contente de le revoir, même s'il avait été toujours là techniquement et qu'elle avait toujours été lui.

- Et bien désormais, vous aurez un exemple à citer à vos élèves sur le pourquoi il ne faut pas toucher aux objets inconnus.

Je le taquinais bien sûr, même s'il y avait une point d'avertissement sous-jacent à ne pas reproduire ce genre de choses. Aujourd'hui, la chance avait été de son côté, car cela avait eu lui dans ma boutique et que j'avais accès à des ressources permettant d'annuler la transformation. Mais il ne devait pas reproduite ce genre d'acte né de sa curiosité. Toute prochaine fois ne pourrait pas avoir de fin aussi plaisante. S'il reproduisait ce genre d'inconscience, peut-être ne pourrait-l plus revenir en arrière comme ça venait d'être le cas.

- Petit cadeau. Un peu comme un rappel.

Je lui tendis le polaroid sur lequel était désormais figée l'image de cette version féminine de lui-même.