31 octobre 2030
Dire que les journées passaient sans se ressembler, c'était limité pour décrire l'existence d'une sirène. Chaque jour n'était que découverte enthousiasmante. Si les fonds marins étaient une source inépuisable de curiosités entre la vie sous-marine à laquelle j'appartenais, ses vestiges engloutis et les visiteurs de passage venant de la surface, cette même surface n'était pas en reste. Si je passais le plus clair de mon temps sous les eaux, avec mes frères et sœurs, il m'arrivait de remonter pour poser les pieds sur la terre ferme.
Le simple fait de marcher était déjà en soi une continuelle découverte. J'avais beau avoir le pouvoir de troquer ma nageoire pour des pieds et en faire usage plus d'une fois, ça restais toujours comme quelque chose qui ne m'était pas propre. J'étais une sirène, une fille de l'eau. Nager était ma nature. Pas marcher. Et à chaque remontée, même après plus d'une trentaine d'années, je continuais à me sentir comme un nourrisson qui devait apprendre à maîtriser une partie de lui-même. Une fois transformée, j'avais conscience que ses pieds étaient les pieds, je venais de troquer mon corps de sirène pour un corps humain. Mais je n'étais pas humaine et à chaque remontée, mes premiers pas étaient toujours hésitants et je devais me rappeler comment les faire avancer l'un devant l'autre. Mes sœurs disaient qu'au bout d'un siècle, on finissait par s'y habituer assez pour que ça devienne plus aisé, mais pas forcément plus confortable. Je me demandais si ça me ferait la même chose, après tout, 31 ans, c'était très jeune pour une sirène. Mais ma curiosité de ce monde terrestre aidait à me faire passer ce sentiment d'inconfort qu'offrait la marche. Et cela rendait toujours mes retours à l'océan doublement réconfortant.
Je venais donc de quitter les eaux maternelles de mon océan bien-aimé pour fouler le sol de la surface. L'appel de la curiosité m'avait menée ici et un de mes frères m'avait dit qu'aujourd'hui était un jour de fête pour les habitants de la terre ferme. Halloween qu'ils appelaient ça. J'étais curieuse de savoir si les fêtes terrestres avaient la même saveur que les fêtes sous-marines. J'étais donc sortie de l'eau, avait pris ce temps pour me faire de nouveau à ses pieds et me dirigeait -encore nue- vers un des creux formés par des rochers, éloignés de l'eau. Les sirènes avaient tendance à mettre des vêtements à disposition pour toute sirène en ayant la nécessité. Deux-trois robes de différentes tailles et autant de hauts et pantalons. Le minimum de choix, mais pour des sorties terrestres de passage, c'était suffisant. Si une sirène voulait rester plus longtemps, elle saurait trouver des changes ensuite. Pour ma part, je récupérais une robe à manches longues et qui me tombait sous les genoux. Pas ma favorite, mais avec le vent qui soufflait, les manches longues offraient un peu de chaleur. Je récupérais également une paire de sandales que j'enfilerais uniquement quand je quitterais la plage. Pour le moment, je voulais encore profiter du sable et de la vue de l'océan avant d'enfiler ces chaussures et me diriger vers le centre-ville et sa foule.

J'étais les pieds bien ancrés dans le sable, le temps de m'habituer à la transformation et je ne pouvais m'empêcher d'admirer ces flots familièrement rassurants. Les océans coulaient dans mes veines comme le sang dans celles des humains. Et même à chaque remontée, mon esprit restait comme en lien constant avec l'appel du large. Tandis que mon regard contemplait l'aquatique horizon, j'entendis une présence qui se confirma quand une voix féminine brisa le silence. Me tournant vers elle, je lui offris un sourire tandis qu'elle s'adressait à moi.

- Je viens seulement d'arriver.

Mes pieds nus et ma chevelure encore trempée, le tout sous la fraîcheur du vent automnal, pouvaient laisser penser le contraire, mais je ne mentais pas vraiment. Je venais réellement d'arriver sur cette plage. J'omettais juste d'indiquer l'origine de mon point de départ. Mes sœurs m'avaient mise en garde. Ne jamais laisser personne atteindre mon cœur sous peine d'avoir un destin plus funeste que la mort et ne pas laisser un mortel connaître ma nature, car il pourrait être enclin à vouloir s'en servir à son avantage. J'avais donc bien pris note de ces deux avertissements et je m'évertuais à les respecter scrupuleusement à chaque remontée. En dehors de mes eaux, je pouvais être vulnérable, la terre n'était pas mon élément. Ce monde de surface n'était pas mon monde, mon foyer.

- À quoi ressemble-t-elle..votre amie ?

Même si je n'avais vu personne, je voulais l'aider. Cette femme semblait perdue. Pas de la même façon que je l'étais quand je venais à la surface, mais j'étais pourtant prête à l'aider. Je crois que c'était comme ça que les humains se faisaient des amis, non ? Et mes remontées étaient encore assez rares pour que j'ai pu me lier avec des mortels. Et s'il était vrai que dans l'eau, j'aurais pu être une alliée des plus efficaces, ça ne voulait pas dire qu'ici, je ne pourrais chercher son amie avec elle. J'avais des jambes tout comme elle. Et je pourrais lui offrir une paire d'yeux supplémentaires.

Si je n'avais croisé personne, j'avais à cœur de vouloir aider la jeune femme. J'ignorais si nous retrouverions rapidement son amie sur cette plage où nous étions les seules âmes qui vivent à cet instant précis. Mais je prenais note mentalement de la description, au cas où si nous venions à nous séparer et que ma route croise la route de la disparue, je puisse lui signaler qu'une de ses proches s'inquiétait pour elle.

- Non, désolée.

J'aurais aimé pouvoir faire plus, mais cette terre n'était pas mon territoire naturel. Dans l'eau et sous l'eau, mes talents auraient pu lui être utile. Mais à la surface, je devais déjà m'adapter à environnement qui m'était inconnu. Sans compter que ces jambes me donnaient la sensation que j'étais dans un corps qui était le mien sans l'être véritablement. Je me sentais vulnérable, tout en refusant de le montrer face à cette inconnue à la crinière de feu. Je voulais l'aider, mais sans prendre le risque de me révéler. Je tentais de trouver des pistes qui pourraient guider la jeune femme dans sa quête.

- Mais il n'y avait personne du côté de l'océan. Si elle est repartie, c'est forcément par ce côté-là, ou celui-là.

Réalisant aussitôt que mes propos pourraient trahir ma nature, je me repris immédiatement pour compléter ma phrase de façon à la rendre moins révélatrice.

- Je n'ai vu personne se baigner.

Après tout, ne pourrais-je pas être venue sur cette magnifique plage pour observer l'immensité de l'océan ? Et je ne mentais pas. S'il était vrai que je n'étais pas venue vers l'étendue d'eau, mais que j'en provenais, il était également vrai que dans ma remontée, je n'avais vu aucun baigneur. Si ça avait été le cas, ma remontée aurait été retardée par sécurité. J'espérais cependant que ce maigre élément saurait aider mon interlocutrice.

- Oh, j'ai oublié de me présenter. Nimue.

J'offris un sourire, désolée de ne pas m'être présentée avant. Mais ces jambes n'étaient pas les seules choses que je maîtrisais mal. Les usages terrestres également.